AMIENS ENVOYÉ SPÉCIAL
En temps ordinaire, une rue sépare les usines Dunlop et Goodyear situées au nord d'Amiens. Mais depuis plusieurs semaines, un gouffre s'est creusé entre ces deux entités qui appartiennent au même fabricant de pneumatiques. Dans la première, qui emploie un peu plus de 1 000 personnes, la direction est parvenue à faire passer les "4 × 8", une organisation de la production fondée sur des rotations de quatre équipes par période de huit jours.
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Dans la "maison d'en face", en revanche, ce système continue d'être rejeté : vendredi 30 et samedi 31 mai, une partie des quelque 1 600 salariés de Goodyear s'est mise en grève pour redire "non aux 4 × 8". Quatre syndicats avaient appelé à cesser le travail, parmi lesquels la CGT, majoritaire au sein de l'entreprise. Pourtant, les représentants de cette organisation (ainsi que ceux de la CFTC et de FO) avaient signé l'accord sur l'instauration des "4 × 8" chez Dunlop. Un drôle d'imbroglio, source de tensions très vives entre les salariés.
A la fin 2006, les dirigeants de Goodyear-Dunlop avaient présenté un programme destiné à accroître la compétitivité de leurs deux sites amiénois. Ils se disaient prêts à y investir 52 millions d'euros sur trois ans pour créer un vaste "complexe". Mais à une condition : les salariés affectés à la production devaient passer aux "4 × 8". Jusqu'à présent, ceux-ci travaillaient soit en "3 × 8" du lundi au vendredi (à raison de 35 heures par semaine, en moyenne), soit dans des "équipes de suppléance" le week-end et un lundi sur deux (28 heures hebdomadaires en moyenne).
La plupart des syndicats ont dénoncé l'initiative, soulignant notamment la perturbation de la vie familiale qu'elle engendrait. En outre, les compensations financières proposées étaient dérisoires, à leurs yeux.
"CHANTAGE À L'EMPLOI"
Consultés par référendum en octobre 2007, les salariés ont repoussé le projet de la direction. En cas de vote négatif, le groupe avait prévenu qu'un plan social serait présenté. Menace mise à exécution en janvier 2008, avec l'annonce de 478 suppressions de postes. Les négociations ont repris jusqu'à l'accord, conclu à la mi-mars, chez Dunlop. "C'était ça ou la mort du site à terme", a plaidé la CFTC. Chez Goodyear, la CGT, FO, la CFDT et Sud ont refusé de céder à ce "chantage à l'emploi". Résultat : quelque 400 postes pourraient être supprimés à partir de septembre, si les choses en restaient là.
Aujourd'hui, le climat est lourd. Au sein de la CGT tout d'abord. Certains de ses membres ont réclamé la révocation de leur collègue qui avait approuvé les "4 × 8" chez Dunlop. Mais il a été confirmé dans son mandat d'élu au comité d'établissement, à l'occasion d'une consultation des salariés, début avril. Peu importe, rétorque Mickaël Wamen, le responsable CGT-Goodyear : "La direction a obtenu un accord scélérat qui va à l'encontre de la volonté des personnels exprimée en octobre", s'indigne-t-il.
Chez Goodyear, la CGC et la CFTC souhaitent que l'ensemble des salariés se prononce à nouveau sur les "4 × 8". Une démarche vertement critiquée, notamment sur le forum goodyear.exprimetoi.net. Alain Dupuis, qui vient de relancer une section CFTC chez Goodyear, s'y est fait traiter de tous les noms : "Suppôt de la direction", etc. "J'ai trente-quatre ans d'ancienneté, confie-t-il. Des périodes de crise, j'en ai connu. Mais c'est la première vraiment grave que l'on connaît." Bertrand Bissuel