Sujet: A Goodyear-Dunlop, deux CGT se déchirent sur fond de plan social (article Le Monde) Aujourd’hui à 21:54
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AMIENS ENVOYÉ SPÉCIAL
Sur le parking de l'usine Goodyear à Amiens, le peintre essaye une énième fois d'effacer les slogans injurieux : "CFTC enculée", peut-on encore lire, jeudi 17 juillet, à côté d'autres noms d'oiseaux destinés au directeur de l'usine. La guerre s'est ouverte entre syndicats, et entre certains d'entre eux et la direction du groupe de pneumatiques, sur fond de plan social prévoyant plus de 400 licenciements. Un conflit qui illustre les difficultés du dossier de la représentativité syndicale dont la réforme est actuellement discutée au Parlement.
Cette guerre a aussi fracturé la CGT des deux usines amiénoises, Dunlop et Goodyear, séparées par une rue et appartenant au même groupe, Goodyear Dunlop Tires France. La première, celle de Dunlop, a signé l'accord de la direction organisant le passage aux 4 × 8heures quand la seconde, celle de Goodyear, s'y est opposée.
Vendredi, l'ancienne section CGT Dunlop devait brûler un cercueil au sigle de la confédération, ainsi que drapeaux et casquettes, à l'extérieur de l'usine. "Parce qu'on sort la CGT de l'usine", explique le responsable, Claude EX secrètaire CGT Dunlop, 55 ans, trente-cinq ans de maison, dont trente-deux à la CGT. Sur le cercueil en bois, on peut lire les noms de l'ensemble des élus CGT, vingt-six, exclus comme lui pour avoir signé, le 17 mars, l'accord avec la direction, avec la CFTC, la CFE-CGC et FO.
En face, chez Goodyear, c'est l'inverse. La CGT, premier syndicat comme à Dunlop, a fait jouer son droit d'opposition au même accord, paraphé ici par les seules CFTC et CFE-CGC, qui pèsent respectivement 1,8 % et 8,6 % aux élections de comité d'entreprise (CE) en 2007.
En réponse, la direction du groupe a annoncé 402 licenciements, à partir de septembre, dans l'usine qui emploie quelque 1 450 salariés. "Si on n'avait pas eu l'opposition de la CGT, on serait en train d'envoyer des avenants modifiant les contrats de travail comme chez Dunlop, d'acheter de nouvelles machines, au lieu de préparer les lettres de licenciement", affirme le PDG du groupe, Olivier Rousseau. "Un seul syndicat peut-il décider seul pour les salariés ?", s'interroge M. Rousseau, qui rend "responsable" de la situation la CGT-Goodyear, 70 % des voix aux dernières élections.
La majorité des syndicats de Goodyeardénoncent "un chantage à l'emploi". Mickaël Secrètaire CGT Goodyear, secrétaire de la CGT, 36 ans dont dix-sept chez Goodyear et quinze à la CGT, rappelle que "la direction avait, de toute façon, prévu la suppression de plus de 400 emplois". Dans Le Courrier picard daté du 16 juillet, M. Rousseau annonce même que "le risque se situe sur 1 000 des 1 450 emplois".
Dans les ateliers, le climat s'est considérablement dégradé : injures, menaces, voitures endommagées sur les parkings... On se dispute la légitimité à représenter les salariés. On se traite de mafieux d'une usine à l'autre, dans les rangs mêmes de la CGT.
Thierry Récoupé, de la CFTC Dunlop, raconte : "On a pris nos responsabilités, on a signé et on a reçu des menaces de mort." M. EX secrètaire CGT Dunlop évoque les mêmes tensions. A côté de lui, dans le local du CE dont il est toujours le secrétaire, Olivier Dupuis, cégétiste depuis vingt ans, se dit "écoeuré" ; "Nous sommes soutenus par le personnel de Dunlop, plus de 65 % des salariés nous ont confirmés dans nos mandats quand la CGT nous les a enlevés." "Je ne peux pas perdre mon emploi, j'ai une pension alimentaire à verser, explique M. Dupuis, il faut être réaliste."
Sur le parking Goodyear, Virgilio Mota Da Silva, responsable de SUD, deuxième syndicat de l'entreprise, reconnaît que "c'est un drame, des personnes vont perdre leur emploi". Mais, selon lui, "on ne peut pas accepter n'importe quoi à cause du chantage de la direction". Pour ce militant de SUD, 39 ans, vingt ans chez Goodyear, "si la CGT Dunlop et EX secrètaire CGT Dunlop avaient maintenu le cap, il n'y aurait pas eu d'accord et la direction aurait dû renégocier". "Si Secrètaire CGT Goodyear et la CGT Goodyear avaient négocié avec nous, on aurait obtenu beaucoup plus de contreparties", avance l'autre camp.
Le PDG du groupe, M. Rousseau, dit attendre "des syndicats prêts à comprendre les efforts nécessaires à faire de part et d'autre". Son directeur des relations sociales, Olivier Duffour, avance que, si "les salariés ont confiance dans la capacité de la CGT à les représenter, l'atterrissage en septembre risque d'être extrêmement brutal". La CGT et SUD espèrent encore. "Ou on arrive à remettre la direction autour de la table, ou on va vers de nouveaux clash", résume M. Secrètaire CGT Goodyear. [b]Rémi Barroux[/